Le doctorat nuit gravement à la santé mentale – et ce n’est pas surprenant.
Le doctorat est associé à une augmentation de la consommation de médicaments, d’hospitalisations, de troubles dépressifs, d’anxiété et d’idées suicidaires.
C’est ce qu’indiquent un nombre croissant d’études récentes sur le sujet.
Doctorat et dépression
Une étude menée au Royaume-Uni a révélé qu’environ 70 % des doctorants de leur échantillon (n = 4608) présentaient des symptômes de dépression (légère à sévère) et 75 % signalaient des symptômes d’anxiété. Ces troubles n’étaient pas présents avant le début de leur doctorat et étaient significativement plus fréquents que dans la population générale. Par ailleurs, 36 % des doctorants ont cherché de l’aide pour des problèmes d’anxiété et de dépression, et ils se montrent en moyenne plus stressés que la population générale.
Une autre étude, menée en Australie, a observé que 45 % des doctorants présentaient des symptômes de dépression (modérée à sévère), 39 % des symptômes d’anxiété sévère, et 36 % étaient à risque de suicide. Ces taux sont supérieurs à ceux de la population générale.
Doctorat, médicaments et hospitalisations
Une nouvelle étude de 2024, basée sur les registres administratifs suédois de 2006 à 2017, a suivi plus de 20 000 doctorants avant et après le début de leur programme. Les chercheurs ont observé que l’utilisation de médicaments psychiatriques, tels que les antidépresseurs et les sédatifs, augmentait chaque année chez les doctorants, bien que leur consommation soit initialement similaire à celle des étudiants avant le début du doctorat. Cette utilisation atteignait un pic en quatrième et cinquième année (jusqu’à 40 % d’augmentation) — correspondant à la durée moyenne d’un doctorat dans la plupart des pays — avant de diminuer en sixième et septième années.
La consommation de médicaments variait selon les disciplines académiques, avec les doctorants en sciences naturelles en tête (augmentation de 100 % d’ici la cinquième année par rapport aux niveaux pré-doctorat), tandis que ceux des sciences humaines et sociales ont vu une augmentation de 40 % et 50 %, respectivement. En revanche, les étudiants en médecine n’ont observé aucune augmentation des prescriptions.
Les personnes les plus à risque de se voir prescrire des médicaments psychiatriques pendant leur doctorat étaient les femmes, celles qui avaient déjà pris de tels médicaments avant de commencer leur programme, ainsi que les doctorants plus âgés. De plus, les doctorants employés par des entreprises avaient 28 % moins de risque de nécessiter des médicaments psychiatriques par rapport à ceux financés par l’université.
Le taux d’hospitalisation suivait une tendance similaire, augmentant chaque année pendant la thèse, suggérant qu’il ne s’agit pas simplement d’un stress passager, mais d’un problème aux effets potentiellement à long terme.
Les raisons ?
Quelles pourraient être les raisons de ces taux élevés de troubles de santé mentale chez les doctorants ?
La culture académique
La culture académique, qui impose une pression immense pour collecter des données et les analyser rapidement afin de les publier, contribue fortement à cette situation. La compétition féroce, résumée par le slogan « publish or perish, » ajoute à ce stress. Les doctorants doivent également se battre pour obtenir des financements et trouver un emploi dans un environnement brutalement compétitif, souvent sans avoir reçu la formation nécessaire pour naviguer dans ces défis dès le début de leur thèse.
En conséquence, le doctorat devient souvent synonyme de longues heures de travail, de précarité, de pression, de stress, d’anxiété, d’isolement et d’insécurité financière. Tous ces facteurs ont un impact significatif sur la santé mentale des étudiants. À cela s’ajoute le syndrome de l’imposteur, qui s’installe de manière chronique, ainsi qu’une impression de stagnation et le sentiment de devoir courir sans cesse juste pour faire du sur place.
Ces éléments nourrissent une culture de travail toxique et le monde académique et les universités doivent considérer ces études sérieusement et jouer leur rôle pour améliorer ces taux honteux. De nombreuses aspects peuvent être changés : structure et attente du programme, financement, soutien aux doctorants, pression à produire des résultats, guidance pour la carrière pour aider à réduire l’incertitude (au lieu de jeter dehors les doctorants et postdoc une fois le contrat terminé), développer un sens de communauté plus fort favorisant le bien être au lieu du stress.
Au moins on en parle ! C’est un premier pas.
Cependant, il est important de noter que cette réalité n’est pas universelle. Pour ma part, mon expérience de doctorat a été superbe et j’ai pu m’épanouir comme je le désirais.
Les solutions ?
D’autres études ont cherché à comprendre l’origine des problèmes de santé mentale chez les doctorants et ont identifié certains facteurs. Mais quelles sont les solutions ?
Des recherches récentes ont exploré des éléments pouvant expliquer la prévalence des troubles de santé mentale chez les doctorants. Voici quelques résultats significatifs.
Une étude menée au Royaume-Uni a révélé que le syndrome de l’imposteur, le perfectionnisme, la solitude et la qualité de la relation avec le superviseur (proximité et coopération) sont des facteurs déterminants prédisant des niveaux élevés de dépression, d’anxiété et de pensées suicidaires chez les doctorants (doi: 10.1192/bjo.2021.1041). Une étude australienne (n=302) a également identifié des déterminants clés des symptômes de santé mentale chez les doctorants, notamment des niveaux élevés de pensées liées au syndrome de l’imposteur (42%, dont 26% avec des symptômes graves), de perfectionnisme (normes très élevées générant de l’anxiété si non atteintes), de solitude, la qualité de la relation avec le superviseur et le nombre d’heures travaillées, qui étaient des prédicteurs significatifs de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires.
Syndrome de l’imposteur
C’est normal d’avoir un syndrome de l’imposteur au début du doctorat. Ce syndrome peut nous faire porter une cape, un déguisement et ainsi nous faire jouer un rôle, un rôle que nous ne maitrisons pas, par peur de révéler notre ignorance et de montrer nos limitations. A la place, nous devons dire la vérité, révéler notre ignorance. Nous devons aussi accepter que nous sommes débutants et apprentis lorsque nous commençons quelque chose de nouveau. Après tout, Pour être grand, il faut avoir été petit. Ensuite nous devons décider de nous former tout en devenant l’acteur de notre propre idéal et en faisant face.
Je t’invite à lire cet article pour comprendre ce qu’est ce syndrome et comment le résoudre.
Qualité de la relation avec le superviseur
La qualité de la relation avec le superviseur est un autre prédicteur important de la santé mentale, notamment en ce qui concerne la proximité et la coopération. Un facteur clé est la manière dont la guidance du superviseur est communiquée (communion), ce qui impacte la santé mentale de l’étudiant. Un superviseur qui dicte ce qui doit être fait sans possibilité de négociation (agence faible, communion faible) peut engendrer du stress, tandis qu’une guidance permettant à l’étudiant de s’adapter et de discuter favorise un climat de confiance.
Choisir un bon superviseur est crucial. Ce n’est pas toujours possible, mais si vous en avez l’opportunité, n’hésitez pas à rencontrer le superviseur potentiel. Renseignez-vous sur les anciens doctorants du groupe et ce qu’ils font maintenant, ainsi que sur les expériences des membres actuels. Les universités devraient également fournir des données sur les taux de succès ou d’échec des doctorants supervisés par chaque directeur de thèse.
Nombre d’heures travaillées
Le nombre d’heures travaillées est également corrélé à des niveaux d’anxiété plus élevés. En effet, plus on travaille, moins on consacre de temps à d’autres activités, ce qui peut créer un cercle vicieux.
Il est donc conseillé de réduire le nombre d’heures de travail quotidiennes et hebdomadaires. Je supervise une doctorante qui traite sa thèse comme un travail : elle respecte le nombre d’heures de son contrat et prend un vendredi sur deux, ce qui lui permet de bien gérer son temps.
Je connais beaucoup de doctorants qui, en cherchant à compenser leurs journées peu productives, annulent leurs autres activités du soir et se retrouvent encore moins productifs le lendemain. Ils vont aussi travailler le weekend pour ‘compenser’ une semaine peu productive.
Change ton état d’esprit. Donne-toi un nombre d’heures de travail et tiens toi y.
Le perfectionnisme
Le perfectionnisme est une des conséquences du syndrome de l’imposteur. Je t’invite à aller à l’opposé total en commençant à montrer d’avantage ton travail, à demander autant de feedback que possible, à poser un maximum de questions, en te donnant la permission de ne pas être parfait.
La solitude
La solitude peut être vécue de différentes manières : soit en étant isolé dans un petit département, soit en se trouvant dans un grand groupe sans intérêts communs. Elle peut également résulter d’un sentiment de déconnexion avec le monde académique et sa communauté. Faire partie d’un groupe, qu’il soit sportif, d’activités ou professionnel, peut réduire ce sentiment de solitude et ses conséquences négatives. Il est donc essentiel de mettre en place des stratégies visant à atténuer la solitude et à encourager des relations efficaces.
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Autre chose, deviens le créateur de ton doctorat
L’avant-dernière ligne de ce tableau nous donne une autre piste de réflexion : « Je pense que développer des problèmes de santé mentale est la norme pendant la thèse. » Plus de 40% des doctorants interrogés partagent ce point de vue (et 25 % ne sont pas sur).
Prendre le contrôle
Cela met en lumière un aspect fondamental : la mentalité dominante dans le milieu académique.
Si la souffrance pendant la thèse est perçue comme normale à la fois par notre environnement et par nous-même, nos pensées finissent par se transforment en réalité et nous finissons par souffrir. En adoptant l’idée que « c’est normal de souffrir en doctorat », que des journées de 80 heures sont une obligation, que sacrifier son bien-être pour la recherche est attendu, on finit par en faire notre vérité.
À l’inverse, si nous choisissons d’aborder la thèse en pensant qu’il est possible de s’épanouir, alors notre esprit et notre corps s’ouvrent à cette réalité. Par exemple, si tu décides que tu peux avoir un week-end de trois jours ou terminer ta journée à 16h, et bien, tu créeras des conditions où cela devient possible. N’oublie pas la loi de Parkinson stipulant que travailler jusque 20h ne veut pas forcément dire que tu as produit davantage.
Ton doctorat ressemblera à ce que tu décides, ou à ce que tu laisses les autres décider pour toi. Et en général, il est préférable de prendre ces décisions par toi-même et de décider d’en faire une belle expérience.
Changer
La solution ? Deviens l’architecte de ton propre doctorat. Au lieu de suivre le modèle « traditionnel » qui incite à toujours travailler plus, définis ce que toi tu veux accomplir.
Facile à dire, certes. Mais en pratique, cela commence par un travail d’introspection. Prends le temps de t’écouter, de réfléchir à tes besoins et à ce qui est bon pour toi. Pour véritablement devenir le créateur de ta thèse, il faut avant tout se libérer des pensées parasites qui entravent ton bien-être. Voici quelques exemples courants de ces pensées nuisibles :
- « C’est normal de souffrir en thèse. »
- « J’ai de la chance d’être ici, donc je dois travailler dur et sacrifier tout le reste. »
- « Je dois tout faire seul sans demander d’aide. »
- « Je dois dire oui à tout ce que mon superviseur demande. »
Ces croyances ne font que rajouter du stress inutile à ton quotidien et ne sont pas représentatives de ce qu’un doctorat doit être. Elles créent une relation toxique avec le doctorat, où tu ne fais plus les choses pour toi, mais pour répondre à des attentes externes.
Une fois ces pensées nuisibles écartées, tu seras prêt à façonner un doctorat à ton image. Décide des règles du jeu. Définis ce que tu veux accomplir, combien d’heures tu souhaites y consacrer, et ce que tu aimerais vivre pendant ces années de recherche.
Voici quelques questions à te poser :
- Quels sont tes objectifs concrets ? Publier dans une revue prestigieuse comme Nature ou Science ? Maîtriser une technique particulière ? Explorer une nouvelle approche scientifique ?
- Que veux-tu accomplir pendant ton doctorat ?
- Combien d’heures souhaites-tu vraiment consacrer à ton doctorat par semaine? Est-ce que ce nombre d’heures est réaliste par rapport à tes ambitions ?
Une fois que tu as défini ta vision, partage-la avec ton superviseur. Si ce dernier te dit que tu ne peux pas être l’architecte de ton doctorat, demande-lui pourquoi il pense que tu n’es pas capable de prendre tes propres décisions. Ose avoir cette discussion courageuse. C’est une étape essentielle pour prendre la responsabilité de ta propre trajectoire, tout en restant à l’écoute des conseils avisés des anciens.
Si tu es malheureux et souffre dans ton parcours doctoral, demande-toi si c’est parce que tu es en train de vivre le doctorat de quelqu’un d’autre. Reste fidèle à ce qui compte pour toi, crois en tes propres objectifs, et tu trouveras ta voie.
Bien sûr, d’autres facteurs sont surement impliqués et ces étudies contiennent de nombreux biais. Lesquels penses-tu doivent aussi être considéré ?
Ref :
- Hazell, C.M., Niven, J.E., Chapman, L. et al.Nationwide assessment of the mental health of UK Doctoral Researchers. Humanit Soc Sci Commun 8, 305 (2021). https://doi.org/10.1057/s41599-021-00983-8
- Bergvall, Sanna and Fernström, Clara and Ranehill, Eva and Sandberg, Anna, The Impact of PhD Studies on Mental Health-A Longitudinal Population Study (June 25, 2024). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=4920527
- Mills, L., Read, G.J.M., Bragg, J.E. et al.A study into the mental health of PhD students in Australia: investigating the determinants of depression, anxiety, and suicidality. Sci Rep 14, 22636 (2024). https://doi.org/10.1038/s41598-024-72661-z
- Berry C, Niven JE, Hazell CM. Personal, social and relational predictors of UK postgraduate researcher mental health problems. BJPsych Open. 2021;7(6):e205. doi:10.1192/bjo.2021.1041
- Woolston C (2019) PhD poll reveals fear and joy, contentment and anguish. Nature 575:403–406. https://doi.org/10.1038/d41586-019-03459-7
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À cœur vaillant, rien d’impossible !
Cyprien
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