Qu’est-ce qu’ une addiction et comment en sortir ?

L’addiction correspond à une consommation répétée et compulsive d’une substance ou d’un comportement, poursuivie malgré ses effets négatifs sur la santé, la vie sociale ou professionnelle, et que la personne ne parvient pas à contrôler ou à arrêter malgré l’intention de le faire.

 

1.   Les 5 C

Les 5 « C » correspondent à :

  • Contrôle — perte de contrôle : la personne n’arrive plus à limiter ou arrêter la consommation ou le comportement.
  • Craving / Consommation — envie irrépressible : un désir fort, envahissant, de consommer la substance ou d’adopter le comportement addictif.
  • Compulsion — comportement compulsif : usage ou passage à l’acte automatique, presque « obligé », souvent malgré la volonté consciente.
  • Continu / Usage continu — persistance dans le temps : la consommation ou le comportement se répète, devient un usage régulier ou chronique.
  • Conséquences — usage malgré les conséquences négatives : la personne continue malgré des effets néfastes (santé, social, professionnel, psychologique…).

Ce sont cinq critères qu’il faut observer pour repérer une addiction selon le psychiatre Laurent Karila.

Utilité : Les 5C offrent un repère simple et accessible — pour une personne ou un entourage — pour repérer les signes d’addiction sans connaître le détail des critères psychiatriques. Cela peut aider à « prendre conscience » qu’un usage dépasse l’usage contrôlé et pourrait nécessiter de l’aide.

Limites : Ce modèle n’a pas le statut d’outil diagnostique officiel — ce n’est pas validé scientifiquement comme un manuel clinique. Il ne remplace pas un diagnostic formel (comme avec le cadre du DSM‑5). Il risque d’être trop simpliste, d’autant plus que l’addiction est une maladie complexe, mêlant biologie, psychologie, environnement, etc.

1.   DSM 5

Le DSM-5 est le manuel de référence de l’Association Américaine de Psychiatrie qui définit et classe les troubles mentaux (dont les addictions) selon des critères diagnostiques standardisés utilisés par les cliniciens et les chercheurs.

Le DSM-5 a abandonné les anciennes distinctions entre « abus » et « dépendance ».  À la place, il regroupe les situations de consommation problématique sous le terme de Trouble lié à l’usage de substances (en anglais Substance Use Disorder – SUD). Ce trouble peut concerner toute substance psychoactive : alcool, tabac, médicaments psychotropes, cannabis, stimulants, opiacés, etc. Pour certaines addictions dites « comportementales » (sans substance), le DSM-5 n’accorde pour l’instant qu’un statut officiel au Trouble de jeu pathologique (i.e. jeu d’argent), pour lequel il existe des critères dédiés.

Pour diagnostiquer une addiction, le DSM-5 retient une liste de 11 critères. Si, durant une période de 12 mois, la personne présente au moins 2 de ces critères, cela suffit pour poser le diagnostic.

Les critères se regroupent en quatre grandes catégories : perte de contrôle, dépendance physique, problèmes sociaux et usage à risque :

Perte de contrôle :

  1. Consommation plus importante ou sur une durée plus longue que prévue — la personne prend la substance en quantité plus forte ou plus longtemps qu’elle ne l’avait planifié.
  2. Désir persistant ou efforts infructueux pour réduire ou contrôler l’usage — la personne voudrait diminuer ou arrêter, mais n’y arrive pas.
  3. Beaucoup de temps consacré à obtenir la substance, à la consommer, ou à récupérer de ses effets — la recherche, l’usage, la récupération occupent une part importante de la vie.
  4. Craving (envie intense ou besoin impérieux de consommer) — un désir fort, difficile à contrôler.

Altération sociale et fonctionnelle :

  1. Usage récurrent entraînant un manquement aux obligations (travail, école, famille, maison…) — l’usage interfère avec des responsabilités importantes.
  2. Usage persistent malgré des problèmes sociaux ou interpersonnels causés ou aggravés par la substance — la personne continue malgré les conflits, difficultés relationnelles, sociales, familiales, etc.
  3. Abandon ou réduction d’activités sociales, professionnelles ou récréatives importantes à cause de l’usage — certaines activités sont délaissées au profit de la consommation.

Usage à risque :

  1. Usage répété dans des situations physiquement dangereuses — par exemple conduire, manipuler des machines, dans un contexte à risque.
  2. Poursuite de l’usage malgré la connaissance d’un problème physique ou psychologique causé ou aggravé par la substance — la personne sait que la substance provoque des effets néfastes, mais continue quand même.

Dépendance physique :

  1. Tolérance — besoin de quantités de plus en plus importantes pour obtenir le même effet, ou diminution de l’effet pour une même dose.
  2. Sevrage — apparition de symptômes de sevrage quand la substance est arrêtée ou réduite, ou usage de la substance (ou d’une proche) pour soulager/éviter ces symptômes.

La gravité du trouble est évaluée selon le nombre de critères remplis sur les 11. Généralement : 2–3 critères → léger, 4–5 → modéré, 6 ou plus → sévère.

Ce qui veut dire que l’on a plus de 2000 cas différents d’addiction possible.

Différents modèles

Modèle médical (neurologique / psychiatrique) : L’addiction est vue comme une maladie du cerveau, impliquant : dérégulation des circuits de récompense (dopamine), perte de contrôle exécutif (cortex préfrontal), apprentissages pathologiques, vulnérabilités génétiques. Ce modèle explique pourquoi l’addiction n’est pas « un choix » mais un trouble neurobiologique.

Modèle comportemental : L’addiction est un conditionnement basé sur : renforcement positif (plaisir), renforcement négatif (soulagement de stress, anxiété…), habitudes automatiques, compulsions. Le comportement devient auto-entretenu même sans plaisir.

Modèle psychologique : L’addiction est une réponse à : traumatisme, angoisse, recherche de régulation émotionnelle, mauvaise estime de soi, solitude, auto-médication. Le produit devient un mécanisme d’adaptation.

Modèle social : L’addiction résulte d’un contexte : normes culturelles, accessibilité, pression sociale, pauvreté, stress environnemental, contexte familial. Certaines sociétés favorisent certains comportements (alcool, jeux vidéo, etc.).

Modèle de l’apprentissage : L’addiction est une mémoire pathologique : apprentissage associatif, consolidation synaptique, stimulus prédictif, automatismes. « le cerveau apprend à vouloir »

Modèle motivationnel : Ce modèle différencie : le liking (plaisir), le wanting (désir), puis le craving (compulsion). L’addiction est une dissociation entre plaisir et envie : on ne consomme plus « parce qu’on aime », mais « parce qu’on doit ».

Modèle biopsychosocial : C’est aujourd’hui le plus complet et le plus utilisé : bio (gènes, cerveau, pharmacologie), psycho (émotions, cognitions, personnalité), social (environnement, culture). L’addiction = interaction entre vulnérabilités + exposition.

Modèle neuroadaptatif : L’addiction est un état de plasticité chronique : sensibilisation, tolérance, sevrage, allostasie, dysrégulation dopaminergique. Le cerveau change durablement sa façon de fonctionner.

Mécanismes cérébraux de l’addiction : du cerveau au sens

Sur le plan neurobiologique, l’addiction s’accompagne d’un affaiblissement du cortex préfrontal, région chargée de réguler les circuits émotionnels et de récompense (nucleus accumbens, amygdale). Lorsque cette régulation diminue, on observe davantage d’impulsivité, une difficulté à différer la gratification et une moins bonne gestion émotionnelle. L’amygdale devient hyper-réactive, particulièrement en situation de stress ou d’émotions négatives, ce qui augmente le désir impulsif de reprendre la substance. La récupération implique donc de restaurer le contrôle cognitif, l’autorégulation émotionnelle et la conscience de soi.

Le stress chronique joue ici un rôle majeur : il active de manière répétée l’axe du stress (HPA axis), augmentant cortisol et anxiété, ce qui sensibilise encore davantage l’amygdale et le craving émotionnel. L’alcool peut alors fonctionner comme “auto-médication” temporaire, réduisant le stress à court terme tout en renforçant la dépendance à long terme.

Au début, l’alcool active surtout les circuits dopaminergiques du nucleus accumbens, associés au plaisir, à la motivation et à la récompense : on boit “pour se sentir bien”. Mais avec le temps, ces circuits sont progressivement remplacés par ceux du striatum dorsal, impliqués dans les habitudes automatiques. L’alcool détourne la motivation et pousse vers une poursuite compulsive centrée sur la substance. Cette transition est un mécanisme clé de l’addiction : on ne consomme plus pour rechercher du plaisir, mais parce que le cerveau a transformé le comportement en routine compulsive. L’addiction devient alors moins une question de “vouloir” que de conditionnement neuronal, elle devient une routine automatique, presque indépendamment de la volonté consciente.

Plusieurs pratiques contribuent à restaurer ce contrôle top-down : méditation, thérapie cognitive, exercice physique, relations humaines, sommeil réparateur, apprentissage de la gratification différée, ou encore écriture réflexive, qui renforcent le cortex préfrontal, diminuent l’hyper-réactivité amygdalienne et moduleraient la réponse au stress.

Par ailleurs, l’activité du Default Mode Network (DMN), associée à l’introspection et à la rumination, peut être momentanément réduite par l’alcool, créant une illusion de calme intérieur. À l’inverse, la méditation, la nature, le flow ou certaines pratiques contemplatives modulent le DMN de manière durable, en réduisant la rumination et en favorisant un sentiment de connexion intérieure.

Enfin, l’alcool réduit la plasticité cérébrale, alors que la guérison nécessite de la réactiver. Tout ce qui stimule l’apprentissage et l’exploration (nouveauté, exercice, apprentissage ciblé, méditation, parfois psychédéliques encadrés) augmente la plasticité, la neurogenèse et la capacité à se réadapter.

Addicere : devenir esclave

Le mot latin addicere signifie « être assigné », « être livré à », puis « être esclave de ». L’addiction porte bien son nom : elle transforme progressivement la personne en esclave de la substance, comme si un « démon intérieur » avait pris possession de son esprit – un peu comme l’anneau unique s’empare de Gollum. Ce démon est rusé et puissant : il manipule, il trompe, il fait mentir, il promet du plaisir, puis exige d’être nourri en retour. Plus on lui cède, plus il se renforce, jusqu’à occuper presque toute la psyché.

Ce processus se développe parce que les mêmes comportements se répètent pendant des années et s’organisent autour de l’alcool, de la substance. L’esprit pense ne plus pouvoir s’en passer. On pense que la boisson nous rend plus drôle, plus courageux, plus sociable, plus créatif. Le mensonge n’est pas seulement aux autres : il est surtout envers soi-même. Chaque tentative d’arrêt se heurte à la même illusion : « demain j’arrête ». Et le lendemain revient, identique au précédent.

Un démon qui renaît sans cesse

Même lorsque l’on arrive à arrêter pendant quelques jours et que l’on pense avoir gagné ; ce démon ne disparaît jamais totalement, il reste présent en arrière-plan. Un canapé, une publicité, une scène de film nous faisant penser à l’alcool peuvent le réveiller instantanément. On croit avoir gagné parce qu’on n’a pas bu pendant trois jours ; puis soudain, une fissure, une impulsion, et l’on retombe. Et chaque rechute renforce le démon, rendant la suivante plus probable. C’est un engrenage psychologique, mais aussi neuronal : les circuits ancrés se réactivent dès qu’on les nourrit. L’addict ne contrôle plus, il subit. La dépendance n’est pas seulement physique : elle est mentale, émotionnelle, identitaire.

La transformation intérieure

Sortir de l’addiction demande plus qu’arrêter de consommer : c’est un changement profond de soi. Parfois, une véritable expérience transformationnelle est nécessaire – spirituelle, psychique, existentielle. Certaines personnes y parviennent après une expérience intense (psychédélique, spirituelle, traumatique, thérapeutique) parce que leur cerveau réorganise brutalement ses circuits neuronaux. Le défi est d’apprendre à ne plus nourrir ce démon. Comme dans Un homme d’exception, les hallucinations de John Nash ne disparaissent pas ; il apprend simplement à ne plus leur obéir : « Peut-être qu’elles ne partiront jamais, mais j’ai appris à les ignorer, et peut-être qu’elles ont fini par m’abandonner. »

Briser l’esprit du mensonge

La véritable libération passe par la vérité envers soi-même : reconnaître sa vulnérabilité, ses impulsions, ses automatismes. Chaque jour est un combat contre l’inconscience, l’impulsivité en redevenant conscient de chacun de ses choix. Chaque décision doit être prise avec lucidité : « est-ce que cette action nourrit le démon, ou me libère-t-elle ? » Et surtout : aimer suffisamment la personne que l’on devient pour ne plus vouloir se détruire. L’amour, la vérité, et la conscience sont les clés de la liberté.

Une traversée du désert

Comme les Hébreux quittant l’Égypte, sortir de l’addiction commence par quitter l’esclavage… puis traverser le désert. Au début, on souffre, on regrette presque « l’ancien temps ». On voudrait revenir en arrière. Mais cette souffrance est nécessaire : c’est la mort des anciens circuits neuronaux, des anciens réflexes, et ce “moi” addictif résiste avant de disparaître. Se libérer est extrêmement difficile. Peu à peu, la traversée devient plus douce. Les nouveaux chemins neuronaux émergent, le cortex préfrontal reprend la commande, la conscience reprend le dessus. L’“esprit de vérité” remplace “l’esprit de mensonge”. Petit à petit, l’esprit devient libre.

Carl Jung , l’addiction comme faim spirituelle

Pour Jung, l’addiction n’est ni une simple erreur morale ni seulement un problème médical : elle révèle un manque psychique ou spirituel plus profond, une faim spirituelle. Selon lui, beaucoup de personnes cherchent dans l’alcool une forme d’unité intérieure ou de plénitude, un moyen de combler un vide psychique ou pour ressentir une forme d’unité psychique ou d’accomplissement qui leur échappe autrement. L’ivresse offre parfois une sensation passagère de cohérence et d’harmonie, et une dispatition des conflits intérieurs ; mais celle-ci est illusoire : lorsque la sobriété revient, les conflits intérieurs réapparaissent, alimentant à nouveau le besoin de consommer. Jung reprend l’idée que spiritus en latin signifie à la fois « esprit » et « alcool », et formule son célèbre « spiritus contra spiritum » : seul un esprit authentique (sens, conscience, profondeur) peut lutter contre l’“esprit-alcool”.  L’alcool serait donc un faux spiritus. Le désir d’alcool représente une forme dévoyée de soif spirituelle. La solution ne serait donc pas seulement l’abstinence, mais une transformation spirituelle authentique.

En thérapie, l’objectif n’est donc pas seulement d’arrêter de consommer, mais de comprendre ce que l’alcool venait remplacer : un vide intérieur, une souffrance psychique non reconnue, ou une partie refoulée de soi-même. Cela implique des questions existentielles : « Qu’essaies-tu de fuir ? », « Qu’est-ce qui manque pour que tu te sentes entier ? », « Quelle dimension de toi n’a jamais pu s’exprimer ? ». Pour Jung, la guérison passe par l’intégration de l’ombre (les aspects refoulés de la personnalité), le développement d’un sentiment d’unité intérieure, et la possibilité de trouver une forme d’expérience spirituelle authentique – à travers la créativité, la relation humaine, la nature, la communauté ou des pratiques symboliques. Autrement dit : remplacer le “faux esprit” par un “vrai esprit”, non pas dans le sens religieux, mais comme une reconnexion profonde au soi et à la vie.

Pour Jung, aucune thérapie psychiatrique classique, morale ou médecine, ne pourraient guérir un alcoolisme chronique ainsi que les formes graves d’addiction car ces approches manquent la dimension essentielle du mal-être spirituel. La véritable issue, surtout dans les formes graves d’addiction, réside dans une compréhension psychologique ; une compréhension plus élevée de soi et de sa vie ; une transformation intérieure : une expérience spirituelle ou existentielle capable de remplacer le besoin d’ivresse. Seul un changement spirituel profond pouvait amener une guérison durable. Cela est parfois déclenchée par une expérience soudaine, un moment ou un acte de grâce, parfois par la relation sincère à d’autres, ou par une ouverture à la dimension symbolique et spirituelle de l’existence. Cela peut aussi passer par une ouverture à la dimension symbolique, par la créativité, la nature, la relation à d’autres ou par des formes de spiritualité non nécessairement religieuses.

Cependant, Jung reconnaît qu’on ne peut ni prescrire ni provoquer une telle expérience : il ne s’agit pas d’une technique de psychothérapie reproductible, mais d’un processus intérieur, imprévisible et subjectif. La guérison implique l’intégration de l’ombre (les aspects refoulés du psychisme), le travail sur l’identité profonde, le soutien communautaire, la rupture avec l’isolement et la possibilité de retrouver un sens vivant et de renouer avec des expériences symboliques ou spirituelles — sans promesse de solution rapide.  Ainsi, pour Jung, l’enjeu n’est pas seulement d’arrêter de boire, mais de remplacer le faux « spiritus » par une expérience intérieure authentique, capable de donner unité et direction à la vie. Il ne s’agit pas d’un set de “pratiques psychothérapeutiques standardisées” : l’expérience doit venir “de l’intérieur”, par une transformation profonde de la psyché — ce qui la rend imprévisible, rare, subjective. Jung pensait que l’isolement, la honte, le sentiment de solitude — fréquents chez les personnes dépendantes — rendaient difficile l’accès à cette dimension spirituelle. Il insistait sur l’importance de “la communauté humaine”, du soutien social, de liens honnêtes et fraternels.

L’idée jungienne d’une « transformation spirituelle » est souvent considérée comme l’une des racines intellectuelles des approches des “12 étapes des AA”.

Friedrich Nietzsche et l’alcool

Pour Nietzsche, l’alcool affaiblit la volonté : il anesthésie ce qu’il appelait la « volonté de puissance », c’est-à-dire l’élan vital vers la création, la croissance et le dépassement de soi. Comme le christianisme, l’alcool lui apparaît comme un moyen d’engourdir la souffrance et d’échapper à la réalité. Dans Le Crépuscule des idoles, il écrit : « Nulle part les deux grands narcotiques européens, l’alcool et le christianisme, n’ont été utilisés de manière plus dissolue. » L’ivresse peut procurer un apaisement immédiat, mais elle affaiblit l’esprit critique, la vitalité et la capacité à se transformer.

Nietzsche analyse donc l’alcool comme un narcotique qui encourage la passivité et détourne de la tâche essentielle : affronter la souffrance pour la transformer. S’appuyer sur l’alcool revient à fuir les épreuves au lieu de les utiliser comme occasion de croissance. Il estimait d’ailleurs que l’alcool lui-même lui était physiquement néfaste, affirmant qu’un seul verre suffisait à faire de sa vie « une vallée de larmes » ; certaines sources indiquent qu’il finit par s’abstenir totalement, par conviction ou par sensibilité physiologique.

Au cœur de sa pensée, l’être humain doit dire « oui » à la vie, même à sa dimension douloureuse, et transformer cette énergie en puissance créatrice (amor fati). Plutôt que de chercher à s’engourdir, il invite à cultiver la force, la discipline et la création, et à rechercher une « ivresse supérieure » dans l’art, l’amour, la musique ou la philosophie. Comme il l’écrit : « Il faut du chaos en soi pour accoucher d’une étoile dansante. »

Sigmund Freud – L’addiction comme substitution de l’amour et de la satisfaction

Pour Freud, l’alcoolisme est un symptôme : la tentative de combler un manque affectif ou narcissique. L’alcool devient une « satisfaction substitutive » permettant de remplacer ce qui fait défaut – amour, estime de soi, lien social ou reconnaissance. L’addiction exprime alors la domination du ça (pulsions) sur le moi, qui ne parvient plus à tolérer frustration, anxiété et conflits internes. Plutôt que d’affronter ces tensions, la personne cherche un soulagement immédiat : le principe de plaisir l’emporte sur le principe de réalité.

Dans cette perspective, guérir ne consiste pas seulement à arrêter de boire, mais à rendre conscient ce qui était inconscient, afin d’intégrer ses conflits psychiques plutôt que de les anesthésier. Cela implique de comprendre pourquoi on boit (désirs refoulés, pertes, manque affectif), de renforcer le moi pour supporter davantage la frustration, et de trouver des satisfactions authentiques dans la relation, la créativité ou le travail. La guérison suppose aussi d’accepter une part de douleur et d’ambivalence, plutôt que de chercher à la fuir.

Freud conceptualise cette dynamique à travers le modèle ça – moi – surmoi : le ça renvoie aux pulsions immédiates (assimilables au système limbique), le moi à la régulation et à la décision (cortex préfrontal) et le surmoi aux normes intériorisées (sociales et empathiques). Sa célèbre formule « Là où était le ça, le moi doit advenir » signifie que ce qui était impulsif doit devenir conscient et choisi : là où il y avait automatisme, il doit y avoir conscience et contrôle.

Aldous Huxley – Intoxication, évasion et quête de transcendance

Pour Huxley, l’être humain moderne souffre d’une véritable faim spirituelle : privé de profondeur intérieure, il s’enferme dans un ennui existentiel et cherche à combler ce vide par la consommation ou l’intoxication. L’alcool devient alors une forme de « transcendance de substitution », une extase artificielle qui endort la conscience au lieu de l’élargir. Loin de conduire à l’éveil, il offre une illusion d’échappatoire qui empêche d’accéder à des états de conscience authentiques.

Huxley invite donc à remplacer l’ivresse chimique par l’éveil de la conscience. Il encourage à cultiver des expériences esthétiques, contemplatives ou spirituelles — par la méditation, l’art, la nature — plutôt que de s’anesthésier pour fuir la réalité. Il s’agit de simplifier la vie, de rompre avec la routine qui nourrit le besoin d’évasion, et d’apprendre à s’ouvrir à des expériences capables d’élargir réellement la perception.

« L’appétit presque infini de l’homme pour les distractions est l’une des grandes causes du malheur humain. »

Viktor Frankl – L’addiction comme perte de sens (vide existentiel)

Pour Frankl, on ne boit pas d’abord pour rechercher du plaisir, mais pour échapper à une absence de sens. L’addiction serait ainsi le symptôme d’un « vide existentiel », fait d’ennui, de désorientation et d’une impression de vide intérieur. L’alcool procure alors un soulagement provisoire, mais il ne répond jamais à la cause profonde, ce qui explique les rechutes fréquentes. Les comportements addictifs remplissent temporairement un manque, mais ne remplacent pas un sens authentique.

Selon Frankl, la véritable tâche thérapeutique consiste à aider la personne à retrouver un sens personnel à sa vie — par l’amour, le travail, la créativité, ou encore le courage face à la souffrance. La logothérapie ne s’intéresse donc pas seulement aux causes passées, mais à ce qui manque aujourd’hui : à quoi aimerais-tu contribuer ? qu’est-ce qui donnerait de la valeur à ta vie ? qui veux-tu devenir ? Le thérapeute accompagne la personne dans la clarification de son « pourquoi » et dans l’engagement progressif vers des actions cohérentes avec ses valeurs.

Ainsi, on ne guérit pas de l’addiction simplement en supprimant la substance, mais en remplissant le vide qui la nourrit. L’enjeu est de reconstruire une direction de vie, un sentiment de responsabilité et une raison d’exister. Comme le montre Frankl, c’est le sens — plus que l’abstinence seule — qui permet réellement de sortir du cercle de la dépendance.

Au total, l’addiction n’est pas seulement une dépendance chimique : c’est une désorganisation conjointe de la motivation, de la régulation, du sens et de la conscience. La rémission implique l’autorégulation (Freud), la revitalisation de la motivation (Nietzsche), la connexion intérieure (Jung), l’ouverture de conscience (Huxley) et la reconstruction du sens (Frankl). Lorsque ces dimensions se réalignent, le système de récompense se normalise progressivement, et l’alcool cesse d’être nécessaire pour se sentir vivant.

Ref en vrac :

Jung and the Labyrinth of Addiction

Carl Jung Letter to Bill W

Jung and the Labyrinth of Addiction

Spiritus Contra Spiritum – Carl Jung’s Letter to Bill Wilson January 30, 1961

How Carl Jung Inspired the Creation of Alcoholics Anonymous

 

Jung and the Labyrinth of Addiction

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